Tribune : de l'unité NPA-Front de Gauche, des retraites, de la campagne de Philippe Poutou !

Une question revient de façon récurrente dans cette campagne électorale : pourquoi le NPA n'a-t-il pas fait l'unité avec le Front de gauche pour cette présidentielle, en acceptant donc de présenter un candidat commun, et pour les prochaines législatives ? Question qu'au NPA nous retournons de la façon suivante, conforme aux démarches unitaires que nous avions initiées en avril 2011 : pourquoi le Front de gauche n'a-t-il pas donné suite à notre proposition de faire ladite unité...sur la base d'une déclaration d'indépendance vis-à-vis du parti de gauche, le Parti Socialiste, qui depuis les années 80 accepte  et même promeut, depuis le pouvoir, contre la population, les logiques libérales respectueuses des lois du marché ? Infantile jeu de ping-pong ? Non, c'est du politiquement sérieux comme nous allons le voir.



On pourra être surpris, tellement le pilonnage médiatique et politique a construit "l'évidence" d'un NPA "isolationniste", de lire ici que le refus d'unité est imputable au choix du Front de gauche de maintenir ses ambiguïtés vis-à-vis du parti de François Hollande. On sera d'autant plus surpris que Jean-Luc Mélenchon ne ménage pas, à l'occasion, celui qu'il a pu qualifier de "capitaine de pédalo". La surprise serait moindre pourtant si l'on prenait le temps de noter que cette virulence à l'encontre du PS est circonstancielle et n'empêche pas que des élus des composantes les plus importantes du Front de gauche restent les alliés structurels et fidèles, tout en menant campagne en faveur de la radicalité mélenchonienne, de ceux du PS dans les mairies et les régions : comme on peut le vérifier à Montpellier où les élus du PC sont en solidarité totale de gestion avec Hélène Mandroux (et avec le Modem) ou encore à la région Languedoc-Roussillon (LR) où les élus du PC soutenaient Georges Frèche (comme pour Agrexco !) et soutiennent aujourd'hui son successeur fidèle, Christian Bourquin.

Voilà qui, d'un point de vue de stratégie politique, permet de comprendre pourquoi le Front de gauche ne voulait pas de cette unité en indépendance déclarée avec le social-libéralisme que le NPA lui proposait. Pour finir de tordre le cou au mythe d'un NPA diviseur de la gauche de gauche, on retiendra aussi que le Front de gauche n'a pas hésité à casser l'unité que, exception nationale avec le Limousin, nous avions pu constituer aux régionales de 2010 en LR sous le nom de A Gauche maintenant !. Alors que les partis composant cette union avaient, au vu du score honorable obtenu (presque 9%), considéré nécessaire de persévérer dans la démarche unitaire, dès les cantonales de 2011, le PC a fait savoir que cela en était fini et que seules des listes soutenues par le Front de gauche recevraient son aval. Tout en maugréant, le PG 34 a entériné cette décision sectaire et diviseuse. Il ne restait plus au NPA 34 qu'à se rallier et à cautionner ce coup de force. Ce qu'il n'a pas fait ! Ayant tout récemment encore saisi le Front de gauche 34 pour envisager des candidatures communes aux législatives, le NPA 34 a reçu une fin de non-recevoir de Michel Passet, pour le PCF, qui a renvoyé au cadre national bouclé (verrouillé) entre partenaires du Front de gauche et toujours aussi éloigné de la clarté politique souhaitée par le NPA.

Alors, bien entendu, le brouhaha médiatique ainsi que les interprétations biaisées des uns et des autres à la gauche du PS aidant, il est de bon ton d'imputer au NPA une division dont la responsabilité revient, si l'on veut en rester aux faits précis, au Front de gauche. Le NPA aurait probablement pu aborder plus tôt et de manière plus souple, plus tactique, ses démarches unitaires mais rien ne devrait occulter que le Front de gauche a toujours fait un choix de proximité distanciée nationalement avec le PS qui, localement, à l'exception du Limousin et, provisoirement, du Languedoc-Roussillon, aux régionales, transforme la proximité en alignement gestionnaire ! Dans cette logique, nous assistons, au cours de cette campagne présidentielle du Front de gauche, à une subtile répartition des tâches qui réserve au tonitruant candidat le discours de la virulence et de l'intransigeance tandis qu'en sourdine, mais de façon bien audible, les responsables du PC affirment le cap d'une alliance avec les socialistes. Certes sur la base, disent-ils, d'un rapport de force électoral qui, de façon totalement illusoire pour le NPA, permettrait au PS de revenir à gauche. Certes pour une participation gouvernementale mais pas avant les législatives. Peut-être plus tard et, en attendant, peut-être encore, avec un soutien parlementaire à un gouvernement monocolor socialiste. Bref, le Front de gauche réussit, ne le nions pas, à marier la carpe de la radicalité d'alternative et le lapin de la modération d'alternance où, priorité électorale-électoraliste, c'est, si l'on ose s'exprimer ainsi, la carpe qui tient le haut du pavé ...de la Bastille !

Ceci étant posé sur la question décisive des alliances, il reste à envisager, par-delà des points communs réels comme la régularisation de tous les sans-papiers, les divergences programmatiques, lourdes de conséquences sur les conditions de réalisation de l'unité : sur le Smic (que nous estimons nécessaire à 1700€ net immédiatement), sur le nucléaire où, partisans d'une sortie en 10 ans, nous n'estimons pas responsable, après Fukushima, de tergiverser en faveur d'un référendum ou encore sur la dette où nous défendons, arguments à l'appui, l'incontournable nécessité d'une annulation pure et simple. Mais la question sur laquelle il nous semble que le Front de gauche contredit, de la façon la plus flagrante, la radicalité qu'il affiche est celle des retraites qui est pourtant liée au dernier mouvement social important que nous ayons connu. Nous mettons ci-dessous le lien vers les articles qui ont abordé dans le détail ce qui motive notre désaccord avec le Front de gauche et nous en rappellerons seulement les points essentiels :

  • nous déplorons que le Front de gauche fasse l'impasse, dans son programme présidentiel, sur la durée de cotisation requise pour avoir une retraite à taux plein : ce programme, contre ce qu'il est de tradition dans le mouvement social de revendiquer sur le sujet, ne réclame que le retour aux 60 ans et aux 75% de la base salariale pour le calcul du montant de la retraite. Rien n'est dit sur la durée de cotisation que le mouvement social (contre la volonté des syndicats majoritaires) a chiffrée à 37,5 annuités.
  • ce silence du Front de gauche, en contradiction avec la volonté de transparence qu'il dit défendre, est d'autant plus problématique qu'à quelques occasions, comme on le verra dans les vidéos accessibles par les liens ci-dessous, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, ont fait le choix des 40 annuités. Sans expliquer les raisons de l'abandon des 37,5 annuités ! 
  • cette acceptation biaisée de l'allongement du temps de cotisation enlève tout sens à la référence clé du retour aux 60 ans : en effet, obliger à cotiser 40 ans, au vu des conditions actuelles d'accès tardif au travail et du développement du chômage et de la précarité, c'est de fait, mettre les aspirants à la retraite devant un dilemme qu'aucune force de gauche digne de ce nom ne devrait proposer : soit partir à 60 ans avec une retraite incomplète, soit prolonger au-delà de 60 ans pour obtenir le taux plein !
  • un spécialiste reconnu des retraites, Gérard Filoche, pourtant membre du PS, mais se réclamant de la radicalité sur les questions sociales, explique, pour sa part, pourquoi l'intérêt des salariés commanderait qu'aujourd'hui ce soient 35 annuités qui doivent être revendiquées. Le Front de gauche doublé sur sa gauche par un socialiste, voilà la situation incongrue à laquelle expose le renoncement à assumer dans son intégralité la logique de satisfaction des besoins sociaux, loin des calculs électoralistes qui pourraient amener le soupçon que la principale "vertu" des 40 annuités c'est de se placer tout près des 41 annuités défendues par ...le PS ! Si près de Hollande, si loin de la défense des retraites !

Pour sa part, Philippe Poutou, pour le NPA, réclame sans hésiter un retour au triptyque de la défense inconditionnelle du droit à la retraite :  37,5/60/75 [37,5 années cotisées/ retraite à 60 ans/avec 75% du salaire]. Voilà bien une des raisons pour suivre son appel à dégager Sarkozy, sans faire confiance à Hollande, par le vote le plus à gauche possible ! Voter Poutou, c'est fixer électoralement la volonté de rendre au mouvement social confiance en lui-même, en ses propres revendications indépendantes des calculs politiciens, pour qu'il redevienne l'acteur majeur de la lutte anticapitaliste ! C'est aussi aider à redonner à la question de l'unité à la gauche du PS la chance de sortir de ses ambiguïtés lourdes de danger pour le monde du travail et l'ensemble des couches paupérisées. 

Oui, décidément, voter Poutou, cela vaut le coup !

Antoine (NPA 34)


  

 En annexe ces extraits d'échanges, sur le sujet, avec des internautes :

Si, dans le cadre posé par le FDG, tu arrives à 60 ans en n’ayant que 35 annuités (cas de celui qui a commencé à travailler/cotiser à 25 ans) au lieu des 40 insidieusement exigées par ledit FdG, ta retraite à taux plein à 75 % reviendrait effectivement à :
140 trimestres (= 35 annuités) / 160 (= 40 annuités) X 75 % = 65,6 %.
Tu perdrais un peu moins de 10 points sur ce que tu aurais gagné si tu avais pu arriver à 60 ans avec les 40 annuités exigées. Il ne te resterait plus qu’à prolonger ton activité pour arriver au taux plein, ce qui relativise la croyance que 60 ans "serait" l’âge effectif de départ à la retraite ! Avec le FdG pour avoir ta retraite pleine, au vu de la réalité des durées de cotisation actuelles, tu es obligé d’aller largement au-delà de la barre des 60 ans. Beaucoup de "croyants" du FdG risqueraient d’être déçus quand ils constateraient que 60 ans cela signifierait une pension bien en dessous des 75 % qu’ on leur fait miroiter !
Si on rétablit les 37,5 annuités et si tu n’avais que 35 annuités à 60 ans, tu aurais :
140 trimestres (= 35 annuités) / 150 trimestres (= 37,5 annuités) X 75 % = quasiment 70 % soit - 5 points. Ce qui n’est pas satisfaisant !
Si, en revanche, on retient la proposition de Filoche, on a : 140 trimestres (= 35 annuités) = 75 %. Tu pourrais partir, pour de vrai, à 60 ans, en n’ayant cotisé "que" 35 ans, à, pour de vrai, taux plein ! Voilà ce que porte le triptyque 35/60/75 au lieu du (40)/60/75 du FdG. Les parenthèses étant là pour dire la clandestinité des 40 annuités "frontdegauchères" !
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Quand on se prétend radical, révolutionnaire, intransigeant avec la finance, etc. c’est jouer petit bras que de se contenter de pénaliser un tout petit peu moins que la droite sur les retraites. Car, en faisant l’impasse sur les annuités, sur un retour aux 37,5, cap sur les 35, le FdG entérine la régression globale des retraites opérées par la droite. Même si les plus petites retraites seraient revalorisées par le filet du Smic, les retraites qui sont au-dessus de cette barre seraient bel et bien pénalisées par le maintien de la réforme fillonesque des annuités ! L’attaque sur la masse des retraites resterait bien en place avec les propositions petitement réformistes du FdG puisque l’on estime que les retraites en dessous du Smic concernent actuellement 1,5 millions de personnes sur un total de 15 millions de retraités. 13,5 millions de retraités laissés sur le carreau, cela donne la mesure de la radicalité du FdG !

Donc si la smicarisation des retraites est le programme du FdG, il faudrait là aussi qu’il le dise clairement !
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Pour compléter : à toutes fins utiles il faudrait intégrer au calcul du montant de la retraite le maintien ou pas des décotes actuelles qui ajoutent de la pénalité à la pénalité pour ceux qui ne sont pas dans les clous des exigences légales pour l’obtention d’une retraite pleine. Il y a aussi la question de savoir comment est calculé le SAM (le salaire annuel moyen) qui sert de base aux 75 % : le FdG prévoit-il un SAM calé sur les 10 meilleures années ? Je n’ai rien lu sur ces points dans ses documents. Merci d’apporter, le cas échéant, les précisions qui m’auraient échappé.

Toutes ces données techniques sont essentielles, même si, en dernière instance c’est bien le politique qui est déterminant : le choix caché du FdG de jeter aux orties les 37,5 annuités est avant tout un choix politique de rupture avec la volonté de construire une offensive en faveur d’une substantielle avancée sur le salaire continué que sont les retraites ! C’est cette démission qui, sur ce point comme sur d’autres, établit les bases d’une convergence du FdG (ou d’une de ses parties) avec le PS, convergence qui n’est certes pas acquise. Mais déjà travailler à laisser la possibilité qu’elle ait lieu explique le sens profond du refus du FdG de faire l’unité avec le NPA dont la première exigence était justement que soit actée l’impossibilité de converger avec un parti "de gauche" qui fait désormais partie de l’ordre capitaliste.

Tout ceci est bien révélateur de ce qui est à l’oeuvre dans la stratégie de la mélenchonienne "révolution par les urnes" : 1/ une récupération rhétorique de la radicalité sociale que l’on accompagne, quand elle occupe les rues, en docilité totale avec des directions syndicales qui n’ont qu’un objectif, le blocage d’une "révolution par les rues" ; 2/ l’intégration institutionnelle de la radicalité sociale par la délégation de pouvoir à des élus de gauche dont la "radicalité" est bornée par les (im)possibilités même des jeux d’alliances de "la" gauche ! L’idée que, d’une manière ou d’une autre, le mouvement social soit/doive être le coeur de l’alternative au capitalisme est étrangère au FdG : en ce sens il est l’héritier le plus à gauche de ce qui reste le réformisme socialiste. Le mitterrandisme revendiqué de Mélenchon n’est pas une anecdote : il est un identificateur clé de sa stratégie et de celle du FdG, quelles que soient les nuances existant entre les partis qui le composent et qui empêcheront peut-être certains d’aller à la soupe socialiste.

Voilà en résumé ce qui se trame derrière la technicité de la question des retraites. Les 40 ans ont à voir avec d’autres années, les années Mitterrand même s’il faut toujours rester attentif aux innovations qui recouvrent l’identique.
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Aujourd’hui [les reniements à gauche] concernent Hollande mais aussi, annoncé par ces "petits" détails sur la retraite, sur l’idée d’un programme partagé de toute la gauche, donc PS compris, cela concerne un Front de Gauche qui a refusé l’unité proposée par le NPA avec comme premier critère de base l’indépendance vis-à-vis du PS. Oui, c’est le FdG qui a refusé une unité d’indépendance avec le NPA pour garder la porte ouverte sur une unité de dépendance envers le PS.
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Ce qui est en jeu ici : 40 annuités, oui/non, pourquoi le Front de Gauche joue-t-il à cache-cache sur ce sujet, etc. Ce n’est pas de la grande théorie politique, c’est, excusez du peu, du "salaire continué" (la retraite) qui renvoie à de la captation de plus-value, au taux d’exploitation. Bref à la lutte des classes. Et, par-delà les éclats de voix radicaux de son candidat, la question qui est posée est bien celle du rapport "réel" du Front de Gauche à la lutte des classes et au rapport de force favorable au capital qu’ont donné les années de gauche unie (mitterrandiennes ou néomitterrandiennes) au gouvernement (avec l’appui/participation du PCF et de Mélenchon !).
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Votre façon de renvoyer [la question des annuités] à un débat qui reste ouvert sur le programme du FdG est tout à fait distrayante, au sens qu’elle distrait de ce qui devrait rester clair : un débat dont n’est précisée aucune procédure de mise en place, de réception des propositions et de formulation de nouvelles propositions sous contrôle d’instances représentatives des gens consultés, un tel débat est exactement un non-débat. Seulement un moulinet rhétorique pour faire croire à une prise réelle des débatteurs sur le processus et le point d’arrivée du débat. C’est un truc vieux comme la gauche ! Je vois que vous y croyez. Ce n’est pas une réponse à la question que je pose et que je vais poser autrement : pourquoi faut-il que, sur une question aussi essentielle que le "salaire continué", le FdG se pose la question d’un débat qu’il n’envisage nullement par exemple sur le Smic ? Qu’on consulte à la rigueur sur la possibilité de passer à 35 annuités, pourquoi pas ? Mais là où rouge citron fait vraiment une impasse c’est sur le fait que Mélenchon et Laurent disent qu’ils sont pour les 40 annuités et que ce positionnement soit absent de toute discussion. A suivre la naïve position de rouge citron on oublie que l’idée qu’on puisse débattre des annuités n’est nullement portée par les dirigeants qui eux ont déjà choisi. rouge citron va-t-il nous faire croire que cette idée n’a pas effleuré l’esprit d’un seul dirigeant du FdG ? Il aura donc fallu que cela émerge de la base ? Il y aurait donc un hyperbolique hiatus entre la base et le sommet du FdG ?
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Sur le paradoxe de membres du Front de gauche prônant la rupture avec l'existant  tout en gérant loyalement les affaires avec le PS, on pourra lire ceci qui s'appuie sur le cas de Montpellier :

Mélenchon prend la Bastille, Michel Passet retourne gérer Montpellier avec le Parti Socialiste et le Modem !
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Mon blog sur Mediapart : Clarté à gauche pour (com)battre la droite